12 janvier 2013
Le Soleil, Québec
Alexandra Perron
(Québec) Plus capable, les odeurs de dinde et de tourtières qui transpirent encore de ma cuisine. Plus capable, d'aspirer jusqu'à l'étage les aiguilles du sapin dépouillé. Plus capable, d'enjamber les mille et un jouets éparpillés au salon et dans les couloirs, vestiges trop copieux des lendemains de Noël.
Mea culpa, c'est l'indigestion.
J'ai un urgent besoin de farnienter au jardin. Ouste, tout le monde dehors!
Dans la cour, nous avons laissé traîner deux chaises Adirondack en plastique. Une heureuse paresse finalement, elles vont davantage nous servir que si elles étaient entreposées au garage. Super légères, elles se déplacent facilement pour suivre les rayons du soleil. On y jette les peaux de mouton du traîneau de la petite dernière. Toute la différence sous les fesses.
Un salon alpin derrière la maison. Dans mes cache-pots tressés en plastique, je fais déborder les branches de mon sapin déchu. Je dépose quelques fausses grappes de baies rouges. La neige vient compléter le tableau. Il me reste à trouver une petite table qui ne rouille pas, ne s'imbibe pas. Pour y déposer chocolat chaud, grog, thé chai.
En Finlande, où on refuse de s'encabaner, on se réchauffe à coups de gorgées de café. Avec une consommation annuelle de 11,92 kg de café non torréfié par habitant (contre 7,35 kg en Suède ou 4,09 kg aux États-Unis), y'a de quoi affronter la morsure polaire.
Je ne sais pas à quoi carbure l'artiste-sculpteur québécois Florent Cousineau, mais l'hiver ne lui donne pas froid aux yeux. Ni ailleurs. Le magazine Urbania l'a exhibé à deux reprises en tenue d'Adam, en train de passer la souffleuse ou en position du lotus sur une «îlette» de neige dans la rivière qui coule derrière chez lui. Ces mois-ci, m'explique-t-il, c'est tout nu qu'il va souvent chercher son journal, de l'autre côté du petit pont. «Quand tu rentres, tu sens l'espèce de picotement sous les pieds.»
Ça l'énergise, ce partage avec la nature. Il vit l'hiver dans sa quatrième dimension. «Je suis dans cette folie-là.»
Je n'irai pas jusque-là dans ma nordicité. Mais moi qui cherchais un décor magique pour fusionner avec le froid, je suis servie chez Florent Cousineau. Il m'a accueillie sur sa terre à Stoneham. Son jardin d'hiver composé de forêt et d'eau est absolument magnifique. Il y a ajouté juste ce qu'il faut de ludique et de poétique.
Chemin faisant, nous croisons des nids illuminés, qu'il a fabriqués à partir de balais de sorcière, ces excroissances qui poussent dans les sapins baumiers.
Puis il pointe deux volutes en béton flexible qu'il a baptisées Les inséparables. Un banc en fer est couvert d'un confortable coussin de neige. «On ne s'y assoit pas. C'est le banc qui regarde la rivière.»
Je me suis entendue rire de ravissement en jetant un oeil dans une longue vue pointée vers un arbre. Quel tableau! Grains de beauté vert-de-gris sur écorce.
Au centre de la place, un rond de feu avec des chaises Adirondak, en bois celles-là. Le foyer est en fait un grand bol de métal récupéré qui fait un son de gong quand on tape dessus. Quand ça floconne sur les flammes, c'est le contraste des extrêmes. Sublime et hypnotisant.
Des bambous qui servaient d'échafaudage à la construction du jardin chinois au Jardin botanique de Montréal ont été simplement appuyés le long d'un grand pin. L'ensemble s'inscrit parfaitement dans le courant «Land art».
Puis il y a encore ces jolies tiges d'aluminium surmontées de leur petit piton neigeux. Quand le soleil frappe dedans...
Le terrain est grand. Tout est disséminé avec parcimonie. «La nature autour est trop forte et trop belle pour être altérée.» Bien joué.
Avec la souffleuse Yamaha qu'il a depuis 20 ans, Florent Cousineau façonne toutefois des chemins dans la neige. Il crée une sorte de labyrinthe comme à l'époque où ses deux dernières filles étaient encore petites. Dans ces tranchées immaculées, il promène les enfants. On peut imaginer l'expérience vue de si bas.
Chez lui, tout est sensation, découverte, amusement et contemplation. Même à moins 20 sous zéro. De quoi s'inspirer.
Il pousse aussi le bonheur en allumant des chemins de lumière, avec des bougies qu'il plante dans la neige tous les deux ou trois pieds. Il les voit de l'intérieur de sa maison. «Je les laisse mourir. Ça dure entre six et huit heures. Ça reste discret, mais c'est une belle présence dans l'espace. Une oeuvre éphémère.»
Quoi ajouter? Rien, sinon une ballade de Bon Iver.
Source : Le Soleil.